Usko progresse

 J'utilise un tapis de yoga comme un repère positif. Tout ce qui se passe ici n'est que bonheur. Jeux, caresses, friandises. Les chiens ont une sensibilité particulière avec leurs coussinets et Usko souffre du contact permanent avec le ciment. Le tapis est donc en tout point un lieu agréable, je m'en sers donc pour lui enfiler le collier et lui attacher la laisse.

Vient le moment de passer la porte et d'aller au parc. La SPA du Bois Rulaud possède deux parcs grillagés qui servent à dégourdir les papattes en liberté quand aucun bénévole ne peut assurer la promenade. 

Ces chiens passent toutes leurs journées dans leurs box et le seul moment pour s'éveiller au monde est la promenade avec leurs bénévoles qui se démènent pour les distraire hors du refuge, de l'autre côté des grilles, ce qui contribue grandement à leur bien être. Mais la tâche est énorme et ce balai incessant ne suffit pas à satisfaire les besoins de tous les chiens . 

Je redouble donc de stratégies pour sortir Usko de son box et le laisser aller jusqu'au parc en liberté. Seulement Usko est très méfiant. Si quelqu'un est en vue dans le parc, il ne passera pas la porte. C'est comme si il avait mémorisé une séquence négative. Si la personne se décale derrière le mur, hors de sa vue, alors tout va bien. Il a associé la présence d'une personne et le passage de la porte comme quelque chose de très négatif. Peut être lui a-t-on interdit d'entrer quelque par si la porte était ouverte ou quelque chose se rapprochant de ce schéma là. Les chiens adorent créer des séquences mais quand elles prennent une mauvaise orientation, il faut faire preuve d'imagination et d'ingéniosité pour les réinventer.

J'entre la première, je me décale derrière le mur et je l'appelle. Dès cet instant, le travail se complique car Usko est libre. Si quelqu'un entre à l'autre bout de ce long corridor avec un autre chien, il ne verra pas Usko car il est caché par un muré assez bas, et il ne me verra pas non plus puisque je suis entrée dans le parc. Il y a toujours une prise de risque

 Il fait un ou deux pas dans le parc, et je referme derrière lui. Il ne cherche pas à fuir, ne me regarde même pas. Le passage de la porte est derrière lui, tout va bien.

Je refais le test avec une autre personne. Quelqu'un se positionne dans le parc et l'invite à venir. Malgré toute la finesse de ce gentil stagiaire, rien à faire. Je lui dis rapidement de sortir de son champ de vision. Il s’exécute et aussitôt Usko entre dans le parc. Je le remercie avant de refermer derrière moi. Je suis maintenant certaine de ce qui se passe dans la tête de ce gros loulou. Peut-être vivait t-il dehors et qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans la maison, peut-être était-ce simplement un endroit qu'il lui était fortement interdit. Ces chiens de refuge sont des mystères insondables. On ignore tout de leurs vies, de leurs habitudes et il faut tout deviner, avancer pas à pas, se remettre en question et toujours chercher des solutions dans la bienveillance.

Malgré tout les progrès s’enchaînent aux fils des jours, il vient à mes pieds avant même que je ne déploie mon tapis. Il va même jusqu'à me suivre en laisse.

Au bureau, ils lui trouvent un joli collier. Je le flatte, l'encourage, redouble de douceur afin qu'il me suive et cela porte ses fruits. Moi aussi je progresse. Je m'attache à lui, j'écris tard le soir pour laisser une trace de son passage dans ma vie et surtout pour lui trouver une famille capable d'assumer cette race de chien. C'est écrit sur la porte de son chenil : Amstaff. C'est un chien catégorisé.

Dans le parc je dispose une couverture au sol pour reconstituer son coin positif (le tapis) , là où tout se passera toujours bien pour lui et je commence le jeu de balle.

J'en choisi une avec sangle. C'est très pratique pour ne pas se faire attraper les doigts et cela permet de jouer à tirer sans perdre le contrôle. Celle-ci coûte environ 13 euros.

Seulement, même cela ne fait pas bouger Usko. Il marche très craintivement dans le parc, me suit quand je l'appelle, mais reste infiniment préoccupé par les odeurs que ses congénères ont laissé un peu partout.

J’attends qu'il me regarde, lui montre la balle et la lance à quelques mètres. Il ne bouge pas et semble se désintéresser de l'objet. Alors je l'encourage, je cours vers la balle, je le stimule à se précipiter vers cet objet.

Et puis à force de recommencer, de plus en plus joyeusement, il finit par se prendre au jeu, se jette sur la balle, la saisie, la secoue et revient vite me la redonner. Je suis aux anges. J'étais un peu inquiète à l'idée qu'il ne s'éloigne de moi pour aller la mastiquer dans un coin. Mais pour mon plus grand bonheur il cherche mon contact, veut jouer avec moi. Je relance la balle plusieurs fois pour dissiper le moindre doute, Usko me ramène la balle à chaque fois.

J’attrape la balle par la lanière, avec prudence, au cas où Usko me la reprenne trop vite. Un coup de dent trop vif pourrait me faire regretter ce jeu, mais il n'essaie pas de m'en empêcher. Il attend simplement que je la relance. Le jeu est installé et je le sens plus détendu, plus joueur, posant sa patte sur ma main pour me faire lâcher. Voilà, je joue à la bagarre avec un chien catégorisé que je connais à peine, dans la douceur et le respect mutuel. Aujourd'hui est une excellente journée !

C'est le moment de tester un peu ses nerfs. Gentiment je le taquine quand il tire sur sa balle. Je pose ma main sur sa grosse tête, je caresse ses joues , je le débarbouille avec ma main, je frictionne gentiment son dos pendant qu'il tire. Aucune réaction d'agressivité, il continue de tirer en grognant mais se sont des grognements de jeu. Il ne se tend pas, son corps reste en mouvement, souple et dynamique malgré mes mains qui le taquinent. Usko ne s'énerve pas. Au contraire, je sens beaucoup de douceur dans ses mouvements. Il joue et fait comme moi, il pose sa grosse patte sur ma main. Usko m'a l'air d'être un chien peu sûr de lui alors je le laisse gagner à chaque fois.

Pour récupérer la balle j'arrête le jeu et je lui dit ''lâche''. Si cela ne fonctionne pas je me tiens bien droite, debout, immobile. Il comprend très vite que je souhaite reprendre la balle et il coopère, de plus en plus vite. 

Au fil des séances, l'entrée dans le parc est de plus en plus facile, le jeu plus fluide, notre relation se construit tranquillement même si je l'avoue, la présence de son énorme tête juste à côté de mon visage peut faire naître en moi un sentiment de crainte. Je cherche alors un point d'équilibre entre lui faire confiance à cent pour cent et rester professionnel et ne prendre aucun risque. C'est un échange entre lui et moi. je lui fait confiance alors il me fait confiance. Tout est histoire d'équilibre.